France : potentiel ignoré

En 2018, les interpreneurs, association de dirigeants « de tous horizons », se pose une question : comment se fait-il que notre pays ne soit pas prospère, alors que ses entrepreneurs ont une créativité hors du commun ? Et ils enquêtent ! Plus de 230 interviews, plusieurs rapports, plus de 30 accompagnements d’entrepreneurs… Aujourd’hui, ils publient France : potentiel ignoré.

Livre de témoignages, c’est une étude anthropologique d’une France familière et pourtant inconnue, celle de la PME et du territoire ! Voici ses constats, au fil de leur découverte :

Le dirigeant français tel qu’en lui-même

Le dirigeant français est paradoxal. « Homme de l’art », hyper entrepreneur sachant « faire ce que les autres ne savent pas faire » et prêt à prendre les risques les plus fous pour faire triompher une idée (alors qu’on le prétend réticent au changement !), il ignore le potentiel réel de son entreprise et les techniques qui permettent de l’exploiter. Il n’a aucune rationalité économique. Sa devise ? « Pour vivre heureux, vivons cachés. » Il se sent méprisé. Il souffre de ne pas être reconnu. Et il est seul. Seul à la tête de son entreprise, et seul face à un environnement hostile. Car le dirigeant est un loup pour le dirigeant. « Concurrence » est un mot clé : il voit des ennemis partout.

Et pourtant ! Il a des ressources. Du fait de l’amateurisme de sa gestion, son entreprise a des réserves de trésorerie que personne ne soupçonne. De quoi financer des projets, surprenants, qu’il a en tête et qui la sortiraient de la précarité. Mais il est déprimé.

Seulement, miracle, placée dans un « cluster », l’entreprise se modernise !

Ultra révolution industrielle ?

On en parle parfois, mais on sait rarement de quoi il s’agit. Le phénomène start-up industrielle annonce une réinvention des principes mêmes de la société et de l’économie. L’humanité va du « thanato sourcé », l’économie fondée sur le pétrole et la mine, au « bio sourcé ». Cela signifie que des secteurs entiers pourraient passer d’un pays à l’autre. La chimie, par exemple, force de l’Allemagne, pourrait ainsi être désormais tirée de l’agriculture, force de la France…

Notre pays fourmille d’idées. Seulement, notre environnement économique est peu propice à l’innovation, car le Français n’achète pas français. Et La France n’a plus de culture industrielle. Elle ne sait pas reconnaître l’innovation, qui risque de partir à l’étranger. Et une révolution économique a besoin d’un secteur financier visionnaire. Le nôtre ne l’est pas. A tel point que le gouvernement doit le porter à bout de bras.

Le nœud du problème : les relations inter-entreprises

En fait, la sous-exploitation de l’innovation en France a une explication évidente : la toxicité des relations entre entreprises la tue ! Comme un enfant ou une jeune pousse, l’innovation a besoin d’être protégée pendant ses premières années. Or, en France, elle rencontre un environnement hostile. Il n’y a rien de commun entre ce qui se pratique à l’étranger et chez nous. Le nœud du problème est là : comment protéger notre innovation, et casser le cercle vicieux dans lequel se trouve notre pays ?

Les dangers de la raison

Nous pensions, avec beaucoup, que le dirigeant français n’est pas un entrepreneur, qu’il n’a pas de trésorerie, que l’État est coupé des réalités… Tout ceci est erroné. Comme le dit Edgar Morin, la complexité du monde déroute notre « pensée simplifiante ». La réalité ne se trouve pas dans notre raison, mais sur le terrain. On ne peut la connaître qu’en cherchant à changer la société, écrit Kurt Lewin. C’est ce que nous avons constaté.

Une illustration ? L’erreur consubstantielle au libéralisme, fil directeur des réformes du demi-siècle : le libéralisme n’est pas zéro société, comme on pourrait le croire ; car, pour que l’individu s’épanouisse (le projet du libéralisme), il lui faut un « milieu » favorable (le cluster). Ce qui n’est rien d’autre que ce que dit Abraham Maslow.

Le cluster, avantage concurrentiel des nations

Le phénomène du cluster est l’illustration même des bénéfices « irrationnels » de la complexité. Guidés par les travaux de Michael Porter[1], nous avons consacré à cette question une partie de nos enquêtes.

Sans pression extérieure, l’entreprise végète. Voilà pourquoi les nations riches de ressources sont généralement sous-développées. Au contraire, le « désavantage concurrentiel sélectif », le handicap, impose l’innovation. La Suisse est forcée à l’inventivité par un niveau de vie et des normes sociales hors du commun, la Hollande domine le marché mondial des fleurs, parce qu’on ne peut les y cultiver à l’air libre !

Un cluster est ce qu’un secteur économique a de mieux, en termes de clients les plus exigeants, d’entreprises, de petits métiers, de personnel expérimenté et spécialisé, de recherche, de formation, de financement… en contact étroit (cf. la mode parisienne de jadis, Hollywood ou la Silicon Valley modernes). La « proximité » qu’il impose à ses membres est la condition nécessaire de la confiance, sans laquelle la coopération est impossible. Les dernières nouveautés passent de l’un à l’autre immédiatement. Il se crée entre eux une émulation (« rivalité ») qui stimule leur créativité. Voilà le secret de son efficacité.

En fait, le cluster, partie pionnière du marché mondial, « pense » pour ses membres. D’où une énorme économie de ressources pour eux. Et, il institue une « préférence locale » nécessaire à l’innovation. C’est un extraordinaire moyen de lancement d’une entreprise : elle profite d’un marché captif ; elle se développe à l’étranger par accompagnement de leaders du cluster ; puis, une fois forte et mondiale, elle s’étend au marché global.

Voilà qui semble une solution miracle. Mais l’existence du cluster résulte, elle-même, d’un miracle. Son émergence réclame du temps, des bonnes volontés, un début de succès, le bouche à oreille… Et ce succès est précaire. La rivalité n’est pas agréable ! L’entreprise tend à lui résister (fusions/acquisitions pour éliminer la concurrence, sous-traitance « bas coût » et immigration…). Si elle réussit, elle obtient une amélioration temporaire, détruit le cluster et périclite.

Régénérer l’éros !

L’économie mondiale se métamorphose. “Rien ne va plus”. Le pays fourmille d’idées. Le secteur financier dont a besoin cette révolution est à inventer.  Nos territoires ont un potentiel considérable à exploiter. Des perspectives immenses s’ouvrent à l’esprit entreprenant ! Malheureusement, le Français attend tout de l’État. Et ses dysfonctionnements le renforcent dans son attentisme. Ils détournent son attention du véritable mal français : des relations entre entreprises (entre individus ?) toxiques.

Mais, ce n’est pas grave ! Ce qui compte est que notre pays a un potentiel énorme et que changer des relations entre individus a un coût nul. Rappelons-nous : nos PME ne sont pas arriérées, mais elles ne sont pas dans leur élément naturel, le « business cluster » ; elles ont en puissance un « modèle économique » nouveau et les ressources financières pour l’exprimer, mais sans environnement « normal », le changement ne peut démarrer ; les start-up industrielles annoncent une révolution industrielle, nais le secteur financier n’est pas prêt ; l’État n’est pas coupé des réalités, mais ses services sont dysfonctionnels, et il lui manque le relais de l’initiative citoyenne ; le territoire a un potentiel économique qu’il n’exploite pas, c’est la solution à son malaise, c’est un relais en puissance pour l’État, mais il attend tout de ce dernier…

Le monde est « complexe » le changement est une question « d’effet de levier », dit la systémique, pas d’équation. C’est en voulant changer le pays que l’on trouvera le levier du changement. Pour cela, il faut retrouver « l’élan vital » nécessaire à l’initiative. « Régénérer l’éros », selon l’expression d’Edgar Morin.

Or, il existe une « armée des ombres » qui, ignorée, affronte toutes les difficultés et les résout. Si elle joint ses forces, elle entraînera le pays. C’est pourquoi nous avons voulu lui donner la parole dans ce livre. (Et la réunir dans notre association.)

Acheter :

Le livre avec sa couverture de version électronique…

[1] PORTER, M. E., The Competitive Advantage of Nations, Free Press, 1998.

Publié par Christophe Faurie

Président association des INTERPRENEURS. Nos entreprises ont une créativité hors du commun : c'est la solution aux problèmes du pays.

3 commentaires sur « France : potentiel ignoré »

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