Maître Sabine Bernert : l’entreprise doit développer son intelligence relationnelle

L’association des Interpreneurs part d’une constatation : le mal de la PME française, c’est le chacun pour soi. Alors, comment amener le Français à « chasser en meute » ? Maître Sabine Bernert nous a précédés dans cette réflexion.

Maître Bernert est une avocate d’affaires. On la surnomme le « bulldozer ». Pourtant, un jour, elle a compris « qu’elle n’en pouvait plus de travailler dans le conflit ». Le monde « se rétrécissait », le nombre de clients ou de fournisseurs se réduisait, une entreprise ne pouvait se payer le luxe de se fâcher avec l’un d’entre eux. Il fallait trouver autre chose pour régler les différends que les voies ordinaires de la justice. Elle s’est donc engagée dans la recherche d’une alternative.

De cette expérience, elle a tiré un cycle de formations pour experts, avocats et chefs d’entreprise, dans le cadre du programme « Capsens » du cabinet d’expertise SARETEC.

Quel a été votre parcours ?

Tout est parti d’une frustration : dans un procès tout le monde est perdant. Il y avait un manque. J’en ai parlé à un ami, directeur technique d’un cabinet d’expertise, qui m’a dit : « as-tu pensé à la médiation » ? Comme de très nombreux avocats, j’étais braquée contre la médiation. Je me disais que c’était une perte de temps, du copinage… Mais, il m’a convaincue. J’ai trouvé une école de médiation et suivi une formation durant cinq mois. Cela m’a totalement transformée. J’y ai appris beaucoup de techniques et cela a donné un souffle nouveau à ma pratique d‘avocat et même à mes relations extraprofessionnelles. 

J’ai poursuivi ma formation avec le droit collaboratif, la négociation raisonnée et, dernièrement, la Communication Nonviolente. Je me forme aussi par moi-même avec des lectures et des conférences. Il existe beaucoup de techniques différentes, mais elles ont toutes un fond commun. En connaître plusieurs me permet de trouver les outils et les approches les plus adaptés aux personnes que j’aide ou que je forme. 

Pourriez-vous donner un exemple de ce qui ne va pas dans les pratiques habituelles ?

Une histoire de concession. Depuis trente ans, un franchisé marchait très bien. C’était sa vie. Mais voilà que la fille du propriétaire reprend la franchise. Elle décide de la restructurer et de lui donner du sang neuf, donc de se débarrasser de ses franchisés historiques. Elle lui donne deux ans de préavis, ce qui est correct sur le plan légal. Mais le monde du dirigeant s’effondrait. L’émotion était telle qu’ils n’arrivaient pas à se parler. La procédure a été un gâchis, à tous points de vue, pour les deux parties qui auraient pu s’apporter mutuellement en mettant fin sainement à leurs relations.

Comment mieux faire ? 

Un autre exemple dans une relation assureur, assuré. Une usine de traitement de déchets fait l’objet de problèmes techniques. Confronté à la pression des riverains qui se plaignent de nuisances, et sans doute à des changements économiques, le propriétaire en profite pour fermer un bâtiment du site et réclame son coût de construction (15m€) aux constructeurs et au maître d’ouvrage délégué.

L’assureur du maître d’ouvrage délégué ne parvient pas à obtenir les pièces qu’il réclame à son assuré et s’en inquiète. J’ai proposé de rencontrer l’assuré, comme on le faisait auparavant, avant que tous les contacts soient dématérialisés par le mail. Jusque-là l’assuré était tendu dans les échanges. Il venait accompagné du courtier qui défendait fermement ses intérêts. J’ai coaché l’assureur. Je lui ai dit : si le ton monte, vous me laissez parler, j’expliquerai la situation et tâcherai de recréer du lien. J’ai démarré la réunion en exposant clairement le ressenti de l’assureur avec un brin d’humour. J’ai comparé la position de l’assureur, interloqué par les refus de communication, et celle de l’assuré, qui s’inquiétait de ces demandes pour « chercher la petite bête ». Ils ont souri.

Tout s’est calmé. Nous leur avons montré l’important travail d’analyse du dossier que nous avions déjà fait, et nous avons expliqué ce qui justifiait les demandes de l’assureur. L’assuré et le courtier ont été impressionnés et nous ont remerciés.

Nous avons ensuite collaboré en toute confiance et transparence, et nous avons gagné, ensemble, le procès. 

Quels sont les principes des nouvelles pratiques que vous recommandez ?

J’aime parler d’intelligence relationnelle. C’est l’intelligence du rapport à l’autre. Ça sert à tous les niveaux. 

Il faut sortir de la logique « j’ai raison, il a tort ». il faut comprendre que ce qui compte réellement est la relation avec les autres. L’assureur ne pouvait rien sans l’assuré, et inversement. Personne n’a raison ni tort.

Ensuite, il faut comprendre la mécanique du conflit. Pour cela, il nous faut des grilles de lecture et accepter de déconstruire nos certitudes. Comme dans l’histoire de l’assureur et de l’assuré, ma position s’appuie sur un mode de fonctionnement dont je n’ai pas conscience. Je fais une hypothèse erronée sur ce qui motive le comportement de l’autre. Il y a des besoins fondamentaux et 36 000 façons de les satisfaire. Il faut comprendre le besoin derrière la stratégie. 

Pour cela, il faut travailler, notamment, sur nos préjugés. Il faut que je dépasse ma logique « automatique », et que j’entende celle de l’autre. Il faut savoir écouter. Ce qui est très difficile, particulièrement pour un avocat, et donc pour moi ! Il faut reformuler pour être sûr de bien comprendre et pousser l’autre à s’exprimer pleinement. Il faut conduire les parties prenantes à trouver elles-mêmes des solutions créatives, qui ne sont pas nécessairement juridiques ou économiques.

Plus précisément ? 

Par exemple, un imprimeur et un photographe étaient en conflit au sujet d’un livre que le second jugeait mal fait. C’était violent, car ce qui était en jeu tenait le plus à cœur à chacun : son art. Je les ai aidés à tout exprimer, y compris leur rancœur, leur tristesse. Ils ont fini par voir le point de vue de l’autre. Une fois écoutés, ils se sont apaisés et étaient ouverts à une solution créative : par exemple des coffrets avaient été conçus sur mesure pour recevoir les livres et certains ont été réutilisés pour y placer des tirages.

Quel enseignement le dirigeant doit-il tirer de votre expérience ? 

Je ne lui conseille pas de passer des mois à étudier la médiation. D’autant que, sans pratique, on ne sait rien ! 

En revanche, le dirigeant doit prendre conscience de l’importance, vitale, de la relation à l’autre, client, fournisseur, personnel. C’est dans l’air du temps : il y a une nouvelle demande de qualité de la relation.

Il faut éviter la spirale du conflit, qui détériore et développe les animosités. Si une relation ne peut être maintenue ou aménagée, il faut y mettre fin proprement. De façon, qui sait ?, à ce qu’elle puisse recommencer sur de bonnes bases quelques années plus tard. L’échange aura appris à se connaître. On devrait commencer par divorcer de la personne avec laquelle on veut se marier !

Il faut accepter de se bousculer, de sortir de nos préjugés.

La spirale du conflit vient du préjugé. Il faut le savoir. Ensuite, il faut chercher à comprendre l’autre. Pour cela, il faut surtout écouter et surtout se taire ! 

Il faut aussi penser à la médiation. Les dirigeants qui disent que ça ne marche pas, ne la pratiquent pas. La médiation est un peu plus connue dans les affaires familiales, puisqu’elle est devenue un passage obligatoire. 

Le médiateur doit être neutre, par principe. On ne peut donc pas lui demander de défendre vos intérêts ! Il faut choisir un médiateur avec qui l’on se sent à l’aise pour bien travailler. Il faut aussi le choisir pour sa capacité d’écoute, sa capacité à résoudre amiablement des conflits en créant les conditions pour les parties de faire émerger des solutions « out of the box ». 

Publié par Christophe Faurie

Président association des INTERPRENEURS. Nos entreprises ont une créativité hors du commun : c'est la solution aux problèmes du pays.

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