Politiques publiques et destin industriel

L’industrie est soudainement un sujet d’intérêt. Comment la nôtre a-t-elle pu tomber si bas ? Que nous est-il arrivé ? Voici un nouvel ouvrage sur le sujet.

Un ouvrage étonnant. En un temps où on se lamente sur le manque de motivation de la nouvelle génération, ce livre, quasiment une thèse, a été écrit par un jeune ingénieur, qui doit être passablement occupé, pendant ses heures de loisir…

Tour de force

Ce qui frappe, d’abord, est que ce livre est un tour de force éditorial. Alors qu’il est extrêmement dense, avec 547 notes de bas de page, façon wikipedia !, l’histoire se déroule à un rythme d’enfer. La légèreté dans la densité, sur 300 pages, c’est unique.

Dans son introduction à Système d’économie politique de Friedrich List (Gallimard, 1998), Emmanuel Todd écrivait que l’ouvrage était sans équivalent. En effet, l’économiste est libéral par nature. Politique publiques renouvelle le sujet, tout en confirmant l’analyse de Friedrich List.

Il commence par examiner les caractéristiques de l’industrie, et constater qu’il n’y avait aucune raison de s’en priver. Puis on passe en revue quelques moments importants de l’histoire des politiques industrielles. A la fois de ses hauts et de ses bas. On y trouve l’Angleterre, l’Inde, Napoléon III, le Japon, l’Argentine et l’Europe du sud. Alors, nouveau tour de force, le livre se lance dans la recherche des facteurs de succès d’une politique industrielle, au moyen des techniques d’analyse de données (qu’il convient de nommer « machine learning »). Cela confirme les observations de Friedrich List, mais révèle aussi que la France n’a plus que les yeux pour pleurer. On se penche alors sur les dysfonctionnements, propres à notre pays, qui sont les causes de cette situation. Et on conclut en décrivant l’industrie que l’on appelle désormais « 4.0 », l’industrie de demain telle qu’elle a été inventée par les Allemands.

Enseignements

Ce livre laisse la même impression que celui de Nicolas Dufourcq, qu’il complète. Une politique industrielle rondement menée, comme le fut celle de l’Angleterre, ou encore celle du couple sino-germanique du livre de M.Dufourcq, a quelque-chose d’un implacable mécanisme de prédation. Froidement planifié, par un « Etat stratège » et parfaitement exécuté par sa population. Il vide ses victimes de leur substance. Celles-ci sont affaiblies soit par des querelles internes, comme l’Inde avant qu’elle ne soit colonisée par l’Angleterre, soit par les sirènes du libéralisme.

Le livre révèle aussi une sorte d’évidence. A partir du moment où l’Union Européenne devenait un champ de libre concurrence, il devait se passer ce que veut éviter l’aménagement du territoire : toute l’activité se concentre aux endroits qui présentent un avantage quelconque, les autres étant désertifiés. Cela s’est produit à la fois à l’échelle de la nation, mais, surtout, du continent : le nord a gagné, le sud a perdu.

Et cela a toutes les chances de continuer. Car, certes, la globalisation est finie. Mais les relocalisations se portent là où le terrain est favorable. Soit dans les pays, d’Europe de l’Est, à bas coût, soit dans ceux du nord, industriels. C’est là que s’implantent les « megafactories ». D’ailleurs, l’Industrie 4.0 est une industrie de l’énergie, de la data de masse, et de l’investissement : où la France, avec son chômage et son endettement, en trouvera-t-elle les moyens ?

Le point de vue des interpeneurs

Face à un tel livre, l’interpreneur ressemble à une fourmi en face d’un entomologiste. Il ne peut que parler de ce qu’il côtoie : le ras du sol.

L’interpreneur s’intéresse à l’économie en général, plutôt qu’à l’industrie en particulier. Il constate que la PME et le territoire ont un potentiel ignoré et qu’il n’est pas compliqué de lui donner la valeur qu’il mérite. Et il se prend à rêver que l’on puisse le faire à l’échelle du pays. Amazon n’est qu’un gestionnaire d’entrepôts : pourquoi le patrimoine, autrement impressionnant, de nos territoires ne pourrait-il utiliser ses recettes ? Pour cela, il n’y a pas besoin de moyens considérables. Pas de risque que la lutte contre l’inflation des banques centrales nous ôte tout moyen d’action.

L’interpreneur a interviewé une vingtaine de « start up industrielles ». Sont-ce des hirondelles qui vont faire le printemps ? En tous cas, elles n’ont rien du 4.0 germanique. Contrairement à lui, elles n’interprètent pas « circuit court » par « production locale », mais comme le cycle de la nature, qui ne produit pas de déchets, et ne consomme quasiment pas d’énergie. (Cf. Cradle to Cradle de Braungart et McDonough.) On aperçoit, notamment, une tendance forte à l’attaque de très gros marchés en remplaçant le « pétro sourcé » par du « bio sourcé ». Ce qui pourrait faire de l’agriculture une ressource critique de l’industrie de demain !

On entend dire que c’est la faute à Zola si l’industrie est par terre. Ne faudrait-il pas plutôt chercher du côté de Hegel ? Il observe que le changement avance par contradictions. Après guerre, notre société d’ingénieurs se pensait maître et possesseur de la nature. (C’est encore ce que croient les Chinois des Trois gorges, MM.Trump, Poutine, Bolsonaro et quelques autres, d’ailleurs.) Cela a produit une réaction violente, opposée. N’est-ce pas là, la véritable cause des mauvais traitements qu’ont subis l’industrie, mais aussi l’entreprise traditionnelle, plus généralement ?

Politiques publiques se réclame de Marc Bloch et de son étrange défaite. Marc Bloch raconte que, en 40, l’officier doutait de ses troupes et les usines d’armement étaient en grève. Et si la solution de notre problème était là ? Et s’il suffisait, pour transformer notre pays, d’amener ses habitants, ingénieurs, écologistes et autres, à comprendre qu’ils ne font qu’un même peuple ?

Publié par Christophe Faurie

Président association des INTERPRENEURS. Nos entreprises ont une créativité hors du commun : c'est la solution aux problèmes du pays.

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