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Nous assistons à l’affaissement d’un système sur lui-même et à quelques renaissances…

Nous avons eu l’occasion d’assister à une conférence du professeur Romain Lajarge à l’école d’architecture de l’Université Grenoble Alpes et responsable de la Chaire Territorialisation, sur les « nouvelles questions rurales » à l’Institut des hautes études des mondes ruraux, et nous avons eu envie de lui demander quelques éclaircissements sur les mouvements telluriques qui secouent notre société et la transforment.

Serions-nous dans un changement qui aurait mal tourné ?

Il s’agit là d’une longue et stimulante affaire, qui remonte aux Lumières et à la définition du progrès humain ! Celui-ci a été, depuis, une constante des grands changements. Il a permis l’avènement d’une civilisation à la fois libérale, moderne, industrielle, démocratique et émancipatrice. Après-guerre, l’accélération de ces changements a atteint son apogée. Il fallait que tout le monde accède au progrès. La mondialisation était cet horizon. Depuis le confort domestique jusqu’à l’Internet aujourd’hui, les mutations n’avaient de sens qu’à condition d’être destinées au plus grand nombre. Ce progrès, par la technique plus que par l’art, par les objets et services marchands plus que par le don et le troc, devait entraîner avec lui le progrès humain et l’avènement d’un nouvel humanisme. 

Et, depuis les révolutions agraires et industrielles jusqu’à celles numériques d’aujourd’hui, les résultats s’avèrent fulgurants, manifestes, incontestables. A partir de la fin de la seconde guerre mondiale, l’accroissement de l’espérance de vie, la quasi-résolution des trois immenses familles de problèmes (guerres, épidémies, famines) qui hantaient toute l’histoire de l’humanité ou la diminution des écarts de richesse avec l’avènement, presque partout sur la planète, de classes moyennes à peu près à l’abri de la paupérisation… sont quelques-uns des marqueurs de cette indéniable réussite de ce que l’on résumera ici, pour simplifier, comme étant la promesse de la modernité. 

Mais depuis quelques décennies, quelque chose s’est enrayé. Le robot-minute n’a pas fait progresser l’égalité femmes-hommes, les intrants chimiques de l’agriculture ne produisent plus de gain de productivité et causent des dégâts terrifiants dans la biodiversité du vivant, la financiarisation de l’économie gonfle des bulles spéculatives à peu près partout, l’éducation massive n’a pas produit cette émancipation absolument nécessaire à la vivacité démocratique et les systèmes urbains qui concentraient une grande partie de ces promesses sont entrés dans une crise profonde et structurelle car culturelle autant que politique. 

Un des intérêts de la « question rurale » consiste à observer, dans une position légèrement décalée, la dimension systémique de cette mutation en cours. Les critiques, portées en 1968, comme celles nées après la chute du mur de Berlin en 1989 ou dans quelques-uns des grands mouvements sociaux ou consécutivement à la crise financière de 2008, n’ont pas produit autant de changements structurels que ce à quoi l’on pouvait s’attendre. Le trend n’a pas été ébranlé. Les start-up en sont le dernier avatar.

Qu’une part croissante de gens ne croient plus au progrès humain par le progrès technique, matériel et consumériste est un signal fort. La peur de léguer à ses enfants des conditions de vie moins bonnes que celles que l’on a connues installe cette tension dans une dimension de crise anthropologique profonde. D’autant plus en constatant que les élites publiques comme privées continuent à porter ce même projet sans parvenir à ouvrir suffisamment grand le champ des possibles d’un autre monde, d’autres directions, d’autres valeurs. La locomotive est déconnectée des wagons ! 

La puissance publique est de plus en plus impuissante et « l’État est dans un sale état ». La construction de l’intérêt général niché au sein de l’intérêt public se voit opposer une défiance croissante. Dans le même mouvement, la puissance privée devient déraisonnablement avide et les marchés perdent une partie grandissante de leur raison d’être. La défense des intérêts privés devient objet de suspicions et se voit opposer un criant besoin de régulation. Une inversion des rôles a été tentée. Elle a confié au privé une partie de ce que le public ne parvenait plus à faire et a donné des droits aux acteurs publics pour se comporter comme des acteurs privés, notamment les États en spéculant sur leurs propres monnaies. Cette tentative s’avère de plus en plus souvent vouée à l’échec … sauf en matière de financiarisation de l’économie puisque c’est ainsi dorénavant que sont principalement financées les dettes des États riches jouissant de fortes monnaies. Si l’on s’arrêtait là dans le diagnostic de notre époque, nous pourrions être enclins à un pessimisme froid. Alors qu’il existe quelques sérieuses raisons d’espérer.

Où cela pourrait-il nous amener ? 

Parce que l’époque n’est pas teintée d’esprit révolutionnaire, on pourra faire l’hypothèse que ces deux grandes catégories d’acteurs, le public et le privé, qui ont participé à produire le progrès technique et humain pendant si longtemps, vont continuer à jouer des rôles cruciaux ; même en partie affaissés sur eux-mêmes et défaits par leurs contradictions internes. 

Une troisième catégorie d’acteurs, d’actions et de logiques d’agir pourrait donc bien advenir sous la bannière des « Communs » , décrite dans le livre du même nom de Pierre Dardot et Christian Laval. L’émergence d’un « tiers secteur » sera suspendue à n’être ni un succédané du secteur étatique, ni un supplétif du marché, sans pour autant s’opposer au public pas plus qu’au privé. 

L’exemple type des « Communs » est l’affouage. Imaginons une forêt municipale n’ayant qu’une faible valeur marchande. Exploité par l’ONF, la communauté villageoise n’y gagne rien. Mais si, à tour de rôle tous les 4 ans, 250 parmi les 1000 habitants passent quelques week-end à entretenir la forêt, exploiter le bois, le débiter et le fournir en bois de chauffage à l’ensemble de la communauté, alors cette ressource prend soudainement une grande valeur sans avoir besoin d’être monétaire. Moment de fête, d’apprentissage, de partage, de connaissance des écosystèmes et de redistributions égalitaires, cette pratique des « Communs » prend socialement, économiquement, politiquement, culturellement et anthropologiquement une toute autre dimension. Le public pas plus que le privé ne savent, ne peuvent et ne veulent produire cette forme de sociabilité, de responsabilité et d’engagement dont ont bénéficié les campagnes depuis la nuit des temps. Wikipédia est souvent utilisé comme un autre exemple emblématique de ces « Communs », contemporains, en devenir. La règle du commun est que l’on bénéficie de ce à quoi on participe et on est invité à participer à ce à quoi on veut bénéficier. 

Il y a ainsi un grand nombre de secteurs qui gagneraient à être retirés du marché et de l’ambition des politiques publiques pour être confiés à des collectifs en charge de la gestion de « Communs ». Il faudrait, simultanément, qu’une partie des acteurs privés abandonnent leurs prérogatives en versant l’objet social de leurs envies d’entreprendre au crédit des « Communs ».

Les « Communs » pourraient alors devenir une nouvelle figure de redistribution des richesses, des idées et des solutions. Une partie des compétences publiques et privées pourraient être alors déléguées à l’agir en commun. Dans ces cas-là, le rôle de l’État devrait alors se limiter à la délicate mission d’éviter la déréliction et d’adapter la légalité à ces nouvelles exigences. Dans ces cas-là, le rôle des entreprises pourrait être de redistribuer de l’intelligence, des solutions, des inventions (par exemple, en fournissant gratuitement le temps des dirigeants, des cadres comme des employés et donc leurs compétences à la résolution des problèmes posés par les Communs). Dans ces conditions, les « Communs » pourraient bien alors participer à quelques renaissances.

Ces changements correspondent-il à de nouvelles aspirations de la population ? 

Mon propos lors de cette conférence défendait effectivement une réponse positive à cette question en proposant de considérer les nouvelles ruralités comme des révélateurs de ces nouvelles aspirations.

La grande pandémie covidienne a été l’occasion d’une prise de conscience massive, profonde et structurellement bouleversante. Finalement, ce virus fût moins terrible que ce que nous avons cru, notre peur fut exagérée et ce confinement certainement excessif. Cependant, l’humanité a pu constater que l’Occident s’est arrêtée 3 mois de travailler mais tout a continué de fonctionner à peu près normalement. A quoi sert notre travail ? Où habitons-nous ? Que faisons-nous de nos existences ? Comme nous y invite Bruno Latour, l’évidence de cette expérience mondiale est que notre vie a radicalement été modifiée par le progrès technique sans que le progrès humain n’ait changé dans la même ampleur. L’aspiration au rattrapage devrait donc marquer les temps à venir. Et si les « Communs » s’avèrent pouvoir être une des figures de ce rattrapage, alors ce renversement est potentiellement majeur. Auparavant, l’emploi décidait de nos existences et en particulier de nos lieux de vie. Maintenant, la qualité de vie semble redevenir déterminante d’où le renouveau des campagnes et l’urbaphobie croissante. Car cette qualité de vie est une recherche d’autres relations aux autres, au vivant et aux non-humains et donc à soi-même. Cette qualité des relations est une nouvelle habitabilité des territoires. Donner du sens à cette vie de relations pourrait donc bien devenir une valeur plus déterminante que l’engagement dans une activité économique et un emploi, quoi qu’il en coûte en matière de gains pécuniaires. 

L’affaissement du système hérité de deux siècles de progrès indéniables se manifeste dans certaines formes archaïques de l’État comme du Marché. Mais rien ne laisse présager de leur remplacement ; la solution conservatrice bien connue (en réinvestissant les valeurs du travail, de la famille et de la patrie) est prônée par une partie trop grande de l’opinion, notamment européenne. L’affaissement du système se fera donc plus probablement sur lui-même que par renversement. Par contre, devraient émerger de nouveaux systèmes plus complémentaires qu’alternatifs, plus additionnels que supplétifs pour porter ces nouvelles aspirations faiblement idéologisées ; des systèmes territorialisés nouveaux feront donc advenir cette habitabilité nouvelle. Raison pour laquelle nous faisons l’hypothèse des « Communs territoriaux » spécifiques à des contextes très variés, identifiés à des collectifs actifs, engagés dans des projets très différents mais situés, appropriés, d’interdépendances plus que d’autonomies.

Savoir ce que ces mutations produiront en terme de processus de civilisation, comme y invitait Norbert Elias, reste une des grandes énigmes contemporaines. Mais si l’on se réfère aux périodes anciennes et en particulier aux civilisations grecques et romaines, les affaissements massifs et rapides ne sont pas bon signe, espérons que celui que nous allons vivre, sera lent, progressif, pacifique et qu’il produira de nouveaux progrès humains de grande envergure. 

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Publié par Christophe Faurie

Président association des INTERPRENEURS. Nos entreprises ont une créativité hors du commun : c'est la solution aux problèmes du pays.

2 commentaires sur « Nous assistons à l’affaissement d’un système sur lui-même et à quelques renaissances… »

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