Dans ce nouvel épisode de notre étude de la start-up industrielle, nous étudions une question importante pour l’entrepreneur qui se lance : l’accompagnement.
Nous nous entretenons avec Roland Pesty, qui est spécialiste d’accompagnement pour startup industrielle. C’est l’occasion de découvrir son métier, et une start-up ayant un grand avenir : SINTERMAT. (https://sinter-mat.com/)
Une enquête menée en collaboration avec le Collectif Startups Industrielles France.
Comment en êtes-vous arrivé à accompagner des start-up industrielles ?
Je suis un ingénieur généraliste avec une spécialisation en design industriel, ce qui était rare à l’époque de ma formation ! J’ai commencé ma carrière dans la start-up d’un de mes professeurs, puis je suis passé de start up en start up. A chaque fois industrielle. Sur des sujets tels que la robotique mobile et la vision par ordinateur. J’ai connu les hauts et les bas de la start-up : la croissance euphorique, la création de filiale aux USA, mais aussi les difficultés de trésorerie, les réductions d’effectifs, la perte d’alignement stratégique avec les actionnaires devenus majoritaires et le départ forcé.
Puis j’ai passé dix ans chez un grand du numérique, en tant que directeur des opérations de son unité innovation. C’est la constante de ma carrière : le management de l’innovation.
Ensuite, j’ai décidé de cocréer des start-ups, pour combiner mes différentes pratiques sportives et l’intérêt pour les technologies. Un de mes projets a été l’une des premières montres connectées (2005).
Après quoi, j’ai souhaité faire profiter les créateurs de start-up de mon expérience et j’ai créé Pollen Innovation. Pendant 10 ans, j’ai mis en place des dispositifs d’accompagnement à la création de start-ups à partir de résultats de recherche, dans le cadre de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne.
Quel est votre “modèle économique” ?
Pour un tiers de mon temps je suis consultant. Le reste est consacré à l’accompagnement d’une seule start-up industrielle à la fois. J’ai un rôle opérationnel : franchir les différents jalons pour transformer une idée en une réalité économique. J’ai aussi un rôle de conseiller – formateur, sur le terrain, auprès du dirigeant. Sachant qu’au bout de 3 ans environ, lors de la levée de série A, je quitte ce rôle opérationnel, pour ne faire plus que l’accompagnement du dirigeant. J’arrive à la fin de ma troisième mission.
En début de mission, je participe à la mise de fonds – très modestement, pour ne pas « voler » le dirigeant – puis j’interviens comme directeur des opérations, salarié de la start-up. Je prends un salaire raisonnable et ensuite lorsque je vends mes actions à l’occasion d’un tour de table, je profite de leur plus-value. Étant salarié de la start-up, je suis aussi rémunéré en bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE) lors des passages de jalons.
J’aide le porteur de projet à passer de chercheur à entrepreneur. Je l’aide à découvrir l’univers de l’entreprise, apprendre de nouveaux concepts et le vocabulaire associé, explorer des territoires inconnus, changer ses mécanismes de prise de décision, gérer différemment le temps, recruter pour constituer la « core team », etc. pour franchir les jalons du projet. Par exemple, exprimer la raison d’être, la mission et l’engagement « développement durable », formuler et tester la proposition de valeur et le modèle économique, obtenir les premiers financements, décider de la stratégie de propriété industrielle, mettre au point de l’outil industriel…
Je ne peux m’occuper que d’une start-up à la fois, car cela prend vraiment beaucoup de temps !
En particulier, il faut très vite identifier les perspectives de l’entreprise, et trouver 300 à 500.000 euros auprès de business angels.
Un exemple ?
SINTERMAT. Créée par Foad Naimi, cette entreprise a un savoir-faire unique de frittage flash dans le domaine de la métallurgie des poudres. Après un doctorat à l’Université de Bourgogne, Foad, a été responsable de la plate-forme de transfert de technologie dont le rôle était de délivrer de l’expertise et réaliser des prototypes. Puis il a monté, toujours dans ces domaines, une entreprise de conseil. Il a été repéré par la DGA, consciente qu’il maîtrisait une technique rare. Elle l’a poussé à monter une start-up. Mais Foad ne connaissait pas le « métier d’entrepreneur ». La DGA s’est tournée vers Bpifrance pour accompagner Foad. C’est comme cela que nous nous sommes rencontrés. Après une petite mission de conseil, Foad et moi avons présenté un projet de start-up industrielle dans le domaine de la métallurgie des poudres. La DGA et Bpifrance ont très vite apporté leurs soutiens.
SINTERMAT imagine et conçoit les matériaux de demain ; des « matériaux augmentés », produits à partir de poudres de toute nature (métalliques, céramiques, composites, biosourcées…), ayant des propriétés inédites et des performances exceptionnelles (haute résistance, haute densité, élasticité augmentée, allégement de poids à iso-performance, fabrication au plus près des cotes finales, etc.) pour répondre aux besoins les plus exigeants des clients, acteurs du luxe (horlogerie, joaillerie, cosmétique), industriels de l’outillage, secteurs de l’aéronautique et de la défense.
L’innovation technologique de SINTERMAT s’inscrit également dans une logique d’économie circulaire. En recyclant les matériaux de récupération et en valorisant les chutes de production, la start-up apporte des solutions durables aux industriels afin de réduire leur impact, notamment en faveur d’une gestion plus responsable et durable des ressources ainsi qu’en faveur de la réduction de la dépendance stratégique à des matières en tension (cobalt, nickel, terres rares…).
Ainsi SINTERMAT veut réconcilier, avec audace et exigence !, les enjeux économiques de la production de matériaux augmentés et les enjeux sociaux et environnementaux.
Pour le financement en pré-amorçage, on est allé chercher un premier business angel. On a eu la chance de trouver quelqu’un qui était prêt à mettre beaucoup d’argent. Puis on a fait une levée auprès du fonds DEFINVEST du Ministère des Armées, fonds géré par Bpifrance. Le premier recrutement a été celui d’un directeur de l’industrialisation. On s’est doté d’un premier outil industriel en mettant au point une machine de production pour le frittage flash et en recrutant et formant simultanément une équipe de techniciens opérateurs. Fin 2019, on avait une première unité de production.
En termes de communication, on a choisi de ne pas être visibles. Tant que l’on ne pouvait pas produire, cela ne servait à rien de susciter l’intérêt d’un client, et l’on ne voulait pas attirer l’attention d’un concurrent potentiel.
Avec l’aide de l’INPI, on a été très attentif à notre propriété industrielle et on a récemment reçu le prix INPI 2022 dans la catégorie « Recherche partenariale ».
Nos actions commerciales consistaient alors à comprendre ce qui intéressait le marché, en explorant ses besoins en fabriquant de petites pièces.
Aujourd’hui, l’outil de production est opérationnel et on produit des pièces.
On vient de faire une levée de fonds de 6m€. On a déménagé dans une belle usine !
SINTERMAT c’est maintenant une équipe de 25 personnes, avec un responsable commercial et un directeur financier ; notre équipe R&D est renforcée avec l’arrivée de doctorants, car nous avons encore beaucoup de résultats de recherche à industrialiser.
Quelles sont les perspectives de SINTERMAT ?
Le marché est immense. Des prospects nous consultent avec un cahier des charges de leur matériau souhaité ; on étudie la faisabilité puis on réalise les premiers prototypes puis après caractérisation du matériau et éventuels ajustements on passe en production de petite série.
Le matériau est un domaine en pleine explosion ! L’aéronautique, l’automobile et le militaire cherchent à alléger les structures. L’horlogerie de luxe est aussi très exigeante. Et le recyclage et l’économie circulaire ouvrent de nouveaux marchés.
Quels sont les problèmes que vous avez rencontrés ?
D’abord, il faut comprendre que l’on est dans un univers du temps long, et qui demande de gros financement. Une machine coûte 2,5m€, et il faut 18 mois avant qu’elle commence à produire. Entre-temps, il faut former les équipes. Il se passe donc beaucoup de temps entre la commande de la machine et les premiers revenus !
Pendant cette période, la start-up industrielle risque de se disperser. Les grands groupes ont des unités dont la mission est de faire de la prospective et de la veille technologique. Ils ont des budgets pour faire des études et réaliser de petits prototypes. Mais ces projets exploratoires, utiles pour diffuser la technologie, débouchent rarement sur un marché. Or, on avait besoin de cas concrets… Dans cette situation, la qualité du rapport humain entre le fondateur de la start-up, expert de sa technologie, et son interlocuteur est très importante. L’interlocuteur doit comprendre la situation de la start-up et lui dire si oui ou non le projet est susceptible d’être suivi par un marché.
La levée de fonds, aussi, a été compliquée. On a sélectionné des leveurs de fonds. Pour cela on avait demandé l’aide de notre Comité stratégique. L’aide apportée par le leveur de fonds n’a pas été à la hauteur de nos attentes ; il n’avait pas une connaissance suffisante des spécificités du monde de l’industrie. Le processus pour organiser la levée de fonds, l’identification des fonds susceptibles d’investir, les mises en relation, etc. n’étaient pas suffisamment adaptés à SINTERMAT.
Finalement nous avons été soutenus par UI Investissement, Safran Corporate Ventures, le Crédit Agricole de Champagne-Bourgogne par l’intermédiaire de Carvest ainsi que par notre actionnaire historique, le fonds Definvest du ministère des Armées, géré par Bpifrance.
Il a fallu se bagarrer ! Dans ces moments, il y a des baisses de moral. Mais elles ne doivent pas durer. Il est important de ne pas être seul. Il est important d’être en binôme. Quand l’un veut abandonner, l’autre voit les raisons de rebondir ! On s’était réparti les rôles, mais on faisait des débriefs à deux. On réfléchissait ensemble sur la stratégie, comment se présenter…

Un avis sur « Start-up industrielle : il est important de ne pas être seul »