Qu’est-ce qu’un administrateur judiciaire ? L’association des interpreneurs poursuit son travail de clarification des procédures que doit connaître le dirigeant, et dont il a parfois une perception erronée. Un entretien avec Maître Blanch. (https://www.linkedin.com/in/alexandra-blanch-30b6a335)
Qu’est-ce qu’un administrateur judiciaire ?
L’administrateur judiciaire défend l’intérêt de l’entreprise. Il est souvent confondu avec le mandataire liquidateur. Or, mandataire liquidateur et administrateur judiciaire sont deux métiers différents, avec deux concours d’accès différents à la profession.
L’administrateur judiciaire ne liquide pas les sociétés! Il défend l’intérêt de l’entreprise lorsqu’elle est en difficulté. Le mandataire liquidateur défend l’intérêt de la totalité des créanciers d’une entreprise, dans une procédure collective face à l’entreprise. L’administrateur intervient pour conseiller et prendre les décisions dans l’intérêt de l’entreprise. Or parfois les intérêts de l’entreprise et du dirigeant ne sont pas les mêmes. Le chef d’entreprise peut par exemple avoir intérêt à récupérer son compte courant, mais l’entreprise n’a pas intérêt ou la capacité à le rembourser.
J’appartiens pour ma part à la nouvelle génération des administrateurs judiciaires. J’exerce mon métier en utilisant la pratique des procédures dites « amiables », ce qui change tout pour les entreprises que je conseille et pour les créanciers, puisque le principe de telles procédures est que chaque partie ressorte sans le ressenti d’être lésée à la fin d’une intervention, d’une manière ou d’une autre.
Quand intervenez-vous ?
En procédure amiable mon métier est d’être un « tiers neutre » qui négocie pour le compte de l’entreprise. Le tiers neutre part d’une situation d’un point A et a pour objectif de faire converger tous les intervenants vers un point B, en expliquant, en dédramatisant, avec objectivité et en cherchant à faire converger les points de vue. En procédure collective, je suis le bras armé du tribunal pour m’assurer que l’entreprise soit en mesure d’assurer le remboursement de ses dettes et je suis là pour aider le dirigeant à atteindre ce but.
J’interviens dans deux processus. Soit en amiable, soit pour des procédures collectives. Dans le cadre d’une procédure amiable, deux situations sont possibles. Soit j’interviens dans le cadre d’une procédure dite de mandat ad hoc, soit en conciliation.
Le mandat ad hoc permet de traiter des situations très variées de la vie d’entreprise. Je peux ainsi être amenée à intervenir lors de différends entre associés, ou entre le chef d’entreprise et des salariés, ou encore entre un fonds d’investissement et le dirigeant, la rupture d’un contrat cadre, etc. Paradoxalement, la pandémie m’a valu beaucoup d’interventions de ce type. En effet, alors que l’on s’attendait à ce qu’elle provoque de difficultés de trésorerie, elle a surtout révélé des dysfonctionnements humains et des divergences stratégiques qu’il a fallu traiter rapidement.
La mission du conciliateur, elle, vise la négociation avec des créanciers et apporte à ces derniers une meilleure protection que la procédure de mandat ad hoc. Mais elle ne dure que cinq mois, ce qui est à mon sens parfois trop court pour permettre à une entreprise de se restructurer. Il n’est donc pas rare de débuter une procédure en mandat ad hoc, et de passer ensuite à la conciliation si nécessaire à la demande des créanciers.
Ce qu’il est indispensable de retenir c’est que lorsque l’on est en procédure amiable, tout est confidentiel, il n’y a aucune mention sur le K-bis et le dirigeant reste maître de son entreprise. Le professionnel n’a aucun pouvoir de gestion et la mission du professionnel qui va intervenir est réalisée sur mesure en accord avec le chef d’entreprise donc le choix des tiers à intégrer aux négociations relève de sa seule décision.
Mais attention, ces procédures demandent de ne pas être en cessation de paiement depuis plus de 45 jours !
Qu’est-ce que l’état de cessation de paiement ?
Un concept à la fois simple mais très mal compris, en particulier des professionnels du chiffre.
L’état de cessation de paiement survient lorsque « l’actif disponible » ne permet pas de faire face au « passif exigible ».
Si nous prenons les notions « brut » :
L’actif disponible, c’est la trésorerie, le cash la disponibilité renvoyant à la notion de liquidité.
Le passif exigible, c’est l’ensemble des dettes échues qui sont dues à un instant par l’entreprise.
Mais si on prend la situation, à « l’instant T », 90% des entreprises françaises peuvent être en état de cessation de paiement !
Pour éviter cette situation, on peut optimiser ces deux balances. Par exemple, pour l’actif disponible, en y intégrant les découverts autorisés non utilisés, les actifs tels que les stocks, le poste clients… et pour le passif exigible, en demandant des échéanciers de dettes, et en n’intégrant pas les dettes soumises à un aléa judiciaire, etc.
je pense sincèrement que si cette notion était dédramatisée et utilisée de façon décomplexée nous pourrions sauver beaucoup plus d’entreprises et cela commence par le fait que chaque dirigeant vérifie chaque mois cet équilibre !
Et les procédures collectives ?
Il en existe trois : la sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire et, plus récemment suite au covid, une nouvelle procédure de sortie de crise a vu le jour.
Dans ce cadre tous les créanciers sont traités collectivement de la même façon. Malheureusement le traitement collectif entraîne une publicité faite aux difficultés de l’entreprise qui a un effet pervers car elle produit une perte de chiffre d’affaires de l’ordre de 30%. Néanmoins et pour autant ces procédures doivent être utilisées comme des outils de gestion, et si la communication est anticipée elles sont de véritables leviers au retournement de l’entreprise.
Le traitement global réside dans un gel qui est imposé à tous pendant une phase dite d’observation qui dure de 12 à 18 mois et qui permet au tribunal d’observer le comportement de la société, sans dettes, et de juger de sa capacité à à la fois ne plus en créer mais aussi un jour rembourser celles qu’elle a accumulées. Ensuite, ce remboursement peut être étalé sur une durée qui peut aller jusqu’à dix ans de façon linéaire ou progressive.
Si l’échelonnement n’est pas possible, il existe encore un plan B à la liquidation judiciaire et qui consiste en un plan de cession. Dans ce cadre le but est de céder les actifs qui composent l’entreprise. On ne vend pas le fonds de commerce ou les titres mais bien les actifs de cette dernière, tout ce qui la compose, à un repreneur qui souhaite les reprendre. On juge les propositions des repreneurs selon trois critères légaux : leur capacité à assurer la poursuite d’activité, à maintenir l’emploi et à désintéresser le passif via le paiement d’un prix à la procédure.
Mon rôle dans ce cadre est de collecter les offres et d’obtenir la meilleure proposition des repreneurs afin de les présenter au Tribunal qui sera le seul décisionnaire. Chacun des trois critères est tout aussi important que les trois autres.
Si, malheureusement, ni le plan A (plan de redressement) ni le plan B (le plan de cession) ne peut être privilégié, le Tribunal devra prononcer la liquidation judiciaire de l’entreprise. Le mandataire liquidateur interviendra dans le but de vendre individuellement les actifs et répartir le prix de vente entre les créanciers.
La procédure de sauvegarde est, contrairement à l’inconscient collectif, une procédure collective puisqu’elle génère un traitement collectif des créanciers et elle a la même finalité qu’un plan de redressement c’est-à-dire échelonner les dettes. La confusion vient du fait qu’elle ne peut être ouverte que si l’entreprise n’est pas en état de cessation des paiements. Mais elle vient de perdre son intérêt, du fait de la réforme des procédures collectives. En effet la sauvegarde, qui protégeait le dirigeant caution des poursuites de ses créanciers, à la fois pendant la période d’observation et pendant le plan de sauvegarde, a vu ce traitement favorable dupliqué en redressement judiciaire. On peut donc craindre que, se sachant protégé, en qualité de caution même en redressement judiciaire, le dirigeant prenne trop tard la décision de se placer en procédure collective et que seul le redressement judiciaire soit possible du fait de l’état de cessation des paiements avéré de la structure.
Comment est nommé un administrateur judiciaire ?
C’est le dirigeant qui le choisit. L’administrateur a une compétence nationale. Il n’est pas attaché territorialement à un tribunal. Le dirigeant va le rencontrer, et donner ensuite son nom au président du tribunal de commerce, qui le désigne. Ce qui lui confère une légitimité par rapport aux créanciers.
Contrairement à ce que l’on croit, il n’est pas là pour tordre le bras des créanciers. Le but est de trouver une solution proportionnée à la fois pour la pérennité de l’entreprise et dans l’intérêt des créanciers. Tout est une question d’équilibre.
Tout ceci semble mal connu…
C’est hélas vrai. Et c’est précisément pour cela que, dès que je le peux, je fais des séances de formation de dirigeants. Le dirigeant est un éternel optimiste, il faut susciter chez lui une prise de conscience. Je leur fais comprendre que l’administrateur judiciaire est susceptible de leur proposer une véritable boîte à outils.
Mais la méconnaissance de toutes ces procédures de la part de l’expert-comptable et commissaire aux comptes est encore plus néfaste. Les experts comptables et commissaire aux comptes de Nouvelle Aquitaine s’en sont inquiétés sous l’impulsion de Gwladys TOHIER, la présidente de la CRCC Grande Aquitaine. Pour eux, je viens de réaliser 5 modules de formation, en visio-conférence. Les retours sont été très bons.
Il reste les douze autres régions. La nécessité de former toutes les professions du chiffre et du droit qui accompagnent les dirigeants commence à être comprise au niveau national et pourrait faire l’objet de formations dans différentes régions en 2022.
Un avis sur « L’administrateur judiciaire, le tiers neutre, qui défend l’intérêt de l’entreprise »