Le rapport 2020 de l’association conclut que le talon d’Achille de nos PME, c’est la « chasse en meute ». Alors comment favoriser leur coopération ? Qui, mieux que Xavier Roy pouvait nous le dire ? C’est le directeur général de France Clusters (https://franceclusters.fr).
Qu’est-ce qu’un cluster ?
Une anecdote pour commencer. Nous avons failli nous appeler « interpreneurs » ! Initialement (début des années 2000), on ne parlait pas de clusters mais de SPL (systèmes productifs localisés), et ceux qui s’en occupaient se nommaient « animateurs de réseaux ». « Réseau » avait quelque-chose de mystérieux, et « animateur » faisait penser aux colonies de vacances. En 2006, nous avons sollicité une dizaine d’animateurs de réseaux, et leur avons demandé de trouver un nom approprié à leur fonction. Ils ont proposé « interpreneur ». Cela signifiait : « On a besoin d’être reconnus par les entrepreneurs que nous animons comme des égaux. On est des entrepreneurs comme eux, nous aussi nous devons innover, et, en plus, nous devons manager sans hiérarchie. Notre job, c’est de faire de l’inter. » Mais on n’a jamais exploité ce terme. Bravo donc à l’Association des Interpreneurs de l’avoir fait. Même si, de votre côté, d’après ce que j’ai compris, vous appliquez ce terme à l’entrepreneur, on va se rejoindre assez rapidement !
Un cluster c’est un réseau d’entreprises formé en association. Il a 6 caractéristiques :
- Les entreprises sont au cœur du système. Tout type d’entreprise, de la toute petite à la très grande, mais ce sont principalement des PME.
- Ces entreprises ont un lien fort entre elles, un domaine d’activité commun. Ce lien peut être de toute nature. Par exemple une filière bois de bout en bout, le décolletage industriel, la lunetterie, une même technologie que plusieurs entreprises ont intérêt à mettre au point, etc.
- Il y a concentration géographique. Elle correspond rarement à un découpage administratif. Pour dépasser la concurrence, il faut que les entrepreneurs se rencontrent fréquemment. Il faut un territoire de proximité. Un territoire a une identité, les gens y sont attachés.
- Coopération. Il ne s’agit pas de relations clients / fournisseurs ou de partager mais de travailler ensemble pour faire du nouveau. Attaquer un nouveau marché, un client pour lequel on n’est pas visibles, se diversifier, etc.
- C’est un réseau ouvert à tous les acteurs qui, sur le territoire, peuvent apporter de la valeur ajoutée au développement des entreprises associées : agences de développement, chambres consulaires, collectivités territoriales, écoles et universités, technopoles et fablabs, banques, business angels, BPI, etc.
- Les clusters sont le plus souvent organisés sous une forme associative avec une cellule d’animation salariée. Sans animation, il n’y a pas de cluster. Ces équipes peuventt varier d’une demi personne à 40, mais elles restent en moyenne des équipes légères et flexibles.
Il y a des clusters dans tous les secteurs d’activité, dans tous les territoires, du très rural au pôle urbain… C’est la dynamique de coopération qui définit le cluster.
Quel est l’historique des clusters ?
Elle remonte aux années 95 / 96. On était à la grande époque de l’aménagement du territoire et de la réflexion sur la reconstruction d’une politique industrielle nationale. La DATAR avait repéré qu’il se passait plein de choses en Italie, au Pays basque espagnol, et, bien sûr, dans la Silicon Valley. On appelait alors la coopération inter entreprises SPL. La DATAR a mené une expérimentation par un appel à projets en 1998. Il y a eu deux cents réponses. Cette initiative s’inscrivait dans une démarche très « bottom up ». Ce sont des territoires et des collectifs d’entreprises qui, par leurs propositions, ont façonné les premiers pas de ce qui est devenu la politique des clusters en France.
En 2005 cela a inspiré les Pôles de compétitivité. Il y en a eu 71. Leur rôle est de faciliter l’innovation, la RetD, l’atteinte de tailles critiques et la visibilité internationale.
Mais, en 2008, on a compris que beaucoup d’entrepreneurs et de territoires, non concernés par la politique des pôles de compétitivité, méritaient tout autant un soutien à l’incitation vers la coopération interentreprises. Il naît alors une politique nouvelle, dite des grappes d’entreprises, complémentaires des pôles de compétitivité, davantage orientée innovation business et ancrage territorial.
Dès les années 2000, les régions se sont appropriées le soutien aux clusters et se sont fortement investies dans leur développement en inscrivant leur soutien dans leurs Contrats de Plan Etat-Région.
Que représentent-ils aujourd’hui ?
On compte environ 400 clusters en France, qui marchent à des vitesses différentes. Soit 80.000 entreprises et 1 million d’emplois. Ces clusters sont animés par 3500 salariés ou « ingénieurs projets ».
Et France Clusters ?
Ce sont près de 80.000 entreprises qui travaillent en coopération dans la communauté France Clusters. Nous sommes une association fondée en 98, une équipe de 8 personnes qui accompagnent quelques 3500 salariés des clusters d’entreprises et pôles de compétitivité. Nous rendons 3 services :
- Nous animons le réseau. Benchmarking entre clusters ; coopération inter clusters à vocation innovation, avec pour but de les sortir de leur spécialisation, pour faire une véritable innovation (par exemple micro encapsulage de parfum dans une chemise ou réseau de distribution partagé entre lunettes et vestimentaire) ; nous agitons les clusters pour qu’il en sorte des idées ; on accompagne les projets qui en résultent en binôme avec les animateurs de clusters, ce qui nous amène à travailler avec des entreprises.
- Nous accompagnons aussi les clusters/pôles dans le développement de leurs projets individuels. En particulier dans la recherche de financements, souvent européens. On peut en porter certains pour leur compte. On expérimente, on explore ensemble de nouvelles offres de service pour consolider leurs modèles économiques, qui dépendait beaucoup de la subvention publique, au démarrage. On organise des formations… Tout mis bout à bout, c’est près d’1,5 événement par semaine que nous proposons à notre communauté. Chacun, évidemment, s’inscrit dans cette programmation en fonction de ses priorités et de sa disponibilité !
- Promotion. Elle passe par le digital et l’événementiel. On joue la caisse de résonance pour les réussites des clusters. On capitalise sur notre expérience pour faire du lobbying public. Et on répond aux questions des acteurs publics. Par exemple : un groupe de dix entreprises coopère, faut-il penser cluster ?
Pourquoi entre-t-on dans un cluster ?
Paradoxalement la raison business, quoi qu’importante, n’est pas une première motivation pour laquelle un chef d’entreprise pousse la porte d’un cluster. Il y a d’abord une volonté d’intégrer une dynamique et de partager, avec des pairs, des préoccupations liées à son développement. Un cluster ressemble un peu à un réseau social. Il offre des services mutualisés – individuels ou collectifs – qui accélèrent la recherche de solutions de l’entrepreneur pour son business, pour ses innovations, pour son organisation.
Et qu’y fait-on ?
C’est quasiment illimité.
- Mutualisation. On commence par acheter ensemble des fournitures ; puis on fait des achats stratégiques (de la matière première, des machines, etc.) ; puis on partage de la veille, des informations (juridiques, par exemple), etc.
- Innovation technologique. On mutualise la RetD, on s’appuie sur la dynamique collective pour passer de l’idée au projet, puis du projet au process industriel et du process au marché applicatif
- Organisation. Ressources humaines, formations mutualisées…
- International. Accompagnement à l’export, partage de m2 dans un salon à l’étranger, missions export, etc.
- Communication. Un cluster arrive à maturité lorsque ses membres font une communication commune, sous la bannière du cluster qui devient une marque commerciale.
Comment nait un cluster ?
C’est une histoire, toujours très fragile, d’hommes et de femmes !
Au début, il y a des besoins individuels exprimés par plusieurs chefs d’entreprise. Ils rencontrent quelqu’un qui, sur leur territoire, écoute et qui propose de les réunir pour trouver ensemble des réponses aux besoins individuels. Cela se poursuit par une étape « action » pour faire la « preuve de concept ». Et ensuite, le groupe d’entreprises, convaincu de l’intérêt de la coopération, rebondit sur d’autres projets collectifs. Petit à petit une gouvernance apparaît, avec un projet stratégique commun. L’acteur « territoire » accompagne ce mouvement car il perçoit l’intérêt de la structuration d’une filière locale pour consolider les entreprises, ancrer les emplois et appuyer l’attractivité territoriale de cette « marque filière ». L’EPCI, l’agence de développement, la chambre consulaire… apportent ainsi un soutien financier, de l’ingénierie ou des équipements pour faire avancer les projets du cluster naissant.
Notre contribution, chez France Clusters, est importante à ce stade car on apporte l’expertise de la communauté sur ces projets émergents et on donne de la motivation en montrant les champs des possibles en matière de coopération inter-entreprises.
Le cluster est-il un moyen d’accélérer l’économie ?
Bien sûr ! Et ce qui est intéressant, c’est que les clusters et pôles montrent la voie d’une approche nouvelle dont on ne se nourrit pas encore assez ! Inspirés sans doute par le fonctionnement économique de pays voisins, nos outils publics sont très orientés vers le seul objectif de croissance de l’entreprise. De la TPE vers la PME, de la PME vers l’ETI… Sans remettre en question cette démarche. Nos clusters/pôles montrent une approche complémentaire, parfois plus adaptée à la configuration de notre tissu économique et à l’état d’esprit de nos entrepreneurs : celle de la croissance par l’alliance !
Pour nous, « l’ETI à la Française », c’est le groupement de PME, qui lié avec son écosystème territorial, additionne ses savoir-faire et ses capacités de production. Il affiche une force de frappe tout aussi séduisante pour les donneurs d’ordres ; l’agilité et la flexibilité en plus !
Comment les clusters vivent-ils la pandémie ?
Nous venons de faire une enquête qui montre que les entreprises en cluster traversent plutôt bien la crise. Pourquoi ? Elles ont pris, dans le temps, des habitudes, des réflexes d’agilité. Grâce à cela, beaucoup ont su saisir les opportunités que la crise elle-même leur apportait. Une scierie des Landes s’est mise à découper du plexiglass pour les commerçants, un fabricant de chapiteaux pour des scènes vivantes à produire des vérandas, le gel, les masques et autres produits de protection dont nous avons tous eu besoin dans l’urgence courant 2020.
Pendant cette année 2020 très exceptionnelle, le cluster c’est aussi une courroie de transmission essentielle entre les entreprises et les dispositifs d’aide publics territoriaux, nationaux, européens. On n’a pas connu de chômage partiel pendant le confinement dans les équipes de management des clusters/pôles ! Tout le monde a été très sollicité pour accompagner la sauvegarde des entreprises, faire remonter leurs besoins, inspirer des solutions de soutien public et accompagner le succès de ces dispositifs d’appui.
La crise sanitaire que nous traversons et la crise économique qui l’accompagne révèlent au grand jour l’utilité des clusters et pôles de compétitivité pour aider nos entreprises à passer le cap et sauver nos emplois par l’innovation collaborative et l’intelligence collective. La démonstration étant faite, il faut maintenant passer à l’échelle !!! 80.000 entreprises impliquées dans nos clusters/pôles, c’est bien, mais comparé aux quelques 3 millions d’entreprises en France, il y a de la marge ! Nous continuons donc et renforçons notre action de pédagogie pour expliquer, encourager les initiatives territoriales et consolider les clusters/pôles existants pour qu’ils puissent accueillir et accompagner des nouveaux entrants.
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