« Nous vivons des circonstances uniques et nous n’avions pas été préparés à cela.
Notre comportement a d’ores et déjà été modifié, une distanciation sociale s’est instaurée. Quels seront les impacts en entreprise ? Quels sont les risques psychologiques à prendre en compte pour le retour ? Comment organiser la reprise ?
Autant de questions à prendre en compte dès à présent pour aborder une reprise en toute sérénité. »
Nadège Barbe, fondatrice de U-Kemm (https://www.u-kemm.com) vous prévient, vous dirigeant, un déconfinement, ça se prépare !
Pourriez-vous me dire deux mots de votre parcours, et comment vous en êtes venue à vous intéresser à ce sujet ?
J’ai plus de 15 ans d’expérience en management. Je me suis beaucoup intéressée aux leviers de la motivation et aux freins éventuels. J’ai passé plus de 10 ans dans le milieu du service aux occupants. De ce fait je connais les contraintes techniques liées au bâtiment, mais aussi les solutions logistiques.
En parallèle, j’ai développé une expertise sur le fonctionnement du cerveau, les comportements, notamment en période de stress et en retour post-crise.
Vous dîtes qu’il est impératif, pour le chef d’entreprise, de préparer le retour de ses salariés à leur poste de travail : pourquoi?
Nous sommes partis à la hâte de nos lieux de travail, laissant une partie nos affaires et de nos sujets en cours, sans savoir pour combien de temps. Nous avons appris à gérer la vie professionnelle au milieu de notre vie personnelle
Nous vivons depuis plus d’un mois dans des circonstances uniques.
Jamais nous n’avions été préparés à être confinés. Les astronautes, sous-mariniers, etc. sont préparés, ils le font par choix et ont une date de fin.
Or nous, nous n’étions pas préparés, nous ne connaissons pas la date de fin, nous évoluons dans un environnement clos et en incertitude.
Nous ne sommes que des êtres humains qui vivons la situation du mieux que nous pouvons. Mais tous, quelles que soient les conditions de notre confinement, nous souffrons de frustrations, de restrictions de libertés, d’inquiétudes pour notre santé et celle de nos proches…
Il ne faut pas croire que cela sera sans effet sur nos cerveaux. Notre cerveau se « recâble » en permanence pour s’adapter à l’environnement. Son objectif est de préserver notre intégrité. Actuellement, il réagit à une agression, lente et persistante, il est en état de tension durable.
Les connexions neurologiques ont déjà été modifiées et continueront au-delà du confinement.
Les conséquences peuvent aller jusqu’à de l’anxiété chronique et l’installation de TOC bien après le déconfinement. Les études faites, notamment à Hong-Kong suite au SRAS, ont déjà mis en évidence ces répercussions.
Quand on prend conscience de cet impact, on comprend alors qu’il faut préparer le retour.
Que peut-il arriver si l’on ne procède pas à un minimum de préparation ?
La préparation est essentielle, non seulement d’un point de vue logistique, mais également psychologique.
D’un point de vue psychologique, il y a un risque de prise de décision confuse, de réactions inappropriées ou encore de colère. L’anxiété, si elle n’est pas évacuée avant le retour, utilisera le premier sujet venu pour cristalliser tout ce qui a été refoulé. Cela peut conduire à des états de colère pour des sujets anodins, des risques d’accident dus au manque d’attention, etc.
Aussi, nous avons développé des techniques d’accompagnement pour désamorcer cela et permettre aux salariés un retour plus serein.
Je suis un patron de PME, à quoi dois-je faire attention ? Comment m’y prendre ?
Pour un patron de PME, le premier point est d’avoir conscience que lui aussi souffre du confinement. Il y a bien évidemment la frustration, la crainte de l’infection, mais à cela s’ajoute la gestion de l’entreprise.
Lui aussi subit les modifications des chemins neurologiques de son cerveau, et donc, lui aussi peut prendre des décisions moins optimales qu’à son habitude.
Un bon réflexe est d’essayer d’objectiver ses décisions par des indicateurs réels et de prendre conscience de ses propres biais cognitifs.
Nous proposons de lier les deux approches dans ce cas.
D’un côté, il est indispensable de prendre en compte les critères de performance économique. Les indicateurs financiers vont devoir être repensés pour que l’entreprise survive et fasse des choix face à la crise. L’utilisation du triptyque marge-capital-risque devient alors essentielle, il permet d’objectiver les décisions.
De l’autre côté, l’humain ne doit pas être oublié. Les salariés participent directement au résultat de l’entreprise. Nous avons tous besoin de retrouver du sens dans nos vies.
Redonner l’envie aux salariés, leur faire comprendre pourquoi leur travail est important, c’est déjà reconnaître leur valeur et garantir un engagement plus fort. Investir sur le capital humain n’est jamais inutile. Là encore, nos nombreuses techniques sont parfaitement adaptées aux besoins des PME et TPE. Je pense qu’aujourd’hui l’engagement ne peut plus se créer avec un baby-foot et des corbeilles de fruits, mais qu’il est désormais nécessaire de mettre en avant la culture et les valeurs de l’entreprise.
Par où dois-je commencer ? Qu’est-ce que je ne dois pas rater ?
Concernant le jour J, l’aspect psychologique est essentiel. La bonne prise en compte, ou non, de cet aspect donnera l’impulsion pour le redémarrage. Si le premier jour se passe mal, les salariés auront un a priori négatif qui risque de s’installer et être source de conflit dans le futur. Or, jamais autant de facteurs négatifs n’auront été réunis à un même moment.
Nous allons devoir réapprendre à travailler les uns à côté des autres, tout en gardant une distanciation sociale. Nous serons contents de nous retrouver, mais en même temps dans la crainte de la contamination. Il va s’installer alors une dissonance cognitive pour notre cerveau ; en d’autres termes, c’est une forme de tension interne propre à notre système de pensée. Nous aurons envie de nous retrouver, mais en même temps il y a un danger inhérent à se revoir.
Le trajet domicile-travail sera également source de stress pour bon nombre de personnes. Imaginez-vous prendre les transports en commun, avec des inconnus, dans un espace clos et peu enclin aux gestes barrières. Après cela, le collaborateur sera dans un état de stress et d’hyper vigilance où le moindre sujet peut servir à cristalliser la tension refoulée.
Ce ne sont que quelques exemples, mais vous comprenez l’importance de prendre en compte ce facteur.
Nous aurons donc besoin d’un sentiment de sécurité afin d’éviter que l’entreprise devienne le lieu de cristallisation des tensions refoulées.
Heureusement, il existe de nombreuses méthodes et outils pour écarter une partie des tensions, canaliser, évacuer le stress et au final recréer l’engagement.
L’aspect purement logistique et organisationnel doit également être pris en compte.
Les dossiers sont restés, eux aussi, en partie confinés. Il ne faut pour autant pas perdre le contact avec ses clients et fournisseurs. De plus, la reprise ne sera sans doute pas à 100 % au premier jour, il va donc falloir définir qui revient et quand. L’ensemble des parties prenantes doit être impliqué dans ce redémarrage.
Il faut partir du principe que cette journée est essentielle pour la suite et qu’elle risque de ne pas être très productive. Elle va servir à donner le tempo pour la suite.
Il est préférable de la considérer comme une journée dédiée au réengagement des équipes et à la remise en service de l’entreprise. Ça ne sera que mieux pour les jours et semaines suivantes.